Immunodéficience primaire : quand le système immunitaire est en panne

Professeur Rik Schrijvers,
UZ Leuven

Environ 1 sur 10 000 : c'est la probabilité que l'on vous diagnostique un déficit immunitaire primaire. Mais souffrir de DIP, qu’est-ce que cela signifie ? Et quelles sont les possibilités de traitement qui s'offrent aux patients ? Nous avons parlé avec le Professeur Rik Schrijvers, interniste général à l'UZ Leuven, dans le département d'allergie et d'immunologie clinique. Il est responsable du programme de soins aux adultes atteints d'immunodéficience primaire.

Qu’est-ce que la déficience immunitaire primaire, Professeur Schrijvers ?

Pr. S. : « La déficience immunitaire primaire, ou DIP, c’est un ensemble de maladies qui se manifestent de différentes manières. Elles ont en commun une défaillance du système immunitaire. C’est précisément à cause de ce défaut que les patients atteints de DIP développent souvent des infections, causées parfois par des bactéries ou des virus plus atypiques. Ces personnes sont plus souvent malades que la population moyenne. »

Quels sont les symptômes des patients qui ont une DIP ?

Pr. S. : « Notre système immunitaire agit comme un véritable bouclier pour notre corps. Lorsqu’il ne fonctionne pas (correctement), les personnes atteintes de DIP courent un risque plus élevé de développer des infections. Elles sont aussi parfois plus sujettes aux maladies auto-immunes. Ce qui veut dire qu’au lieu de s’attaquer aux agresseurs extérieurs, l’organisme se retourne contre lui-même et cela peut causer des inflammations. Certaines personnes peuvent aussi souffrir d’allergies extrêmes. Les affections graves peuvent également être plus fréquentes. Quant à la fatigue, c’est un symptôme difficile à traiter chez les patients atteints de DIP. Les causes de cette fatigue sont peu connues. Parfois, même quand les traitements améliorent les valeurs sanguines, elle ne disparaît pas. Nous devons être honnêtes dès le début avec nos patients, afin que leurs attentes soient réalistes dès que nous commençons le traitement. »

« Nous devons être honnêtes dès le début avec nos patients, afin que leurs attentes soient réalistes par rapport au traitement. »
Professeur Rik Schrijvers, UZ Leuven

La déficience immunitaire est-elle une maladie fréquente ?

Pr. S. : « C'est une question difficile. Cela dépend de ce que vous entendez par déficience immunitaire. On estime qu'entre 1 personne sur 400 et 1 personne sur 20 000 souffre de DIP. C'est une fourchette très large, en fonction du fait que l’on compte ou pas les gens ayant un déficit très limité en anticorps. Mais les patients atteints de DIP dont nous parlons aujourd'hui ? Je dirais peut-être environ 1 sur 10 000. »

Comment découvre-t-on une DIP chez un patient ?

Pr. S. : « Lors d’une analyse de sang notamment, si les résultats sont anormaux par rapport à l’historique du patient. Par exemple, quand un enfant arrive aux soins intensifs et que ses valeurs sanguines sont bizarres, c'est bien sûr très suspect. Il en va de même pour un adulte qui a eu plusieurs fois une pneumonie et dont les analyses de sang montrent des anomalies. Dans ce genre de cas, on creuse la piste du déficit immunitaire. Or des valeurs sanguines anormales ne signifient pas toujours une DIP non plus. Et pour nous, médecins, c'est là que réside parfois la difficulté. »

Un traitement est-il nécessaire en cas de DIP ?

Pr. S. : « Dans la grande majorité des cas, oui, afin de mieux protéger les patients dont le système immunitaire est défaillant. Les antibiotiques, par exemple, protègent contre les infections. Ils sont alors administrés plus longtemps ou à des doses plus élevées ou de façon chronique. Un très grand nombre de patients DIP reçoivent un "substitut" pour compenser leur propre système immunitaire. Des anticorps supplémentaires, les immunoglobulines, leur sont administrés parce qu'ils en fabriquent eux-mêmes trop peu ou parce que leurs anticorps ne fonctionnent pas correctement. »

La DIP évolue-t-elle, en mieux ou en pire ?

Pr. S. : « Cela dépend généralement du type de déficience immunitaire constaté. Il existe des déficiences immunitaires qui se manifestent principalement à un jeune âge, et dont les symptômes diminuent à mesure que le système immunitaire se développe. Il existe des déficiences immunitaires qui se traduisent ‘seulement’ par un manque d’anticorps. Si les patients reçoivent des anticorps de substitution, leur déficit immunitaire peut être parfaitement maîtrisé et ils bénéficient ainsi d'une espérance de vie normale. En plus du manque d’anticorps, certains patients -et nous ne pouvons pas le prévoir à l'avance- présentent d'autres problèmes dans certains organes. Ces affections supplémentaires rendent leur DIP plus imprévisible, avec des complications parfois plus difficiles à traiter. »

Quels sont les différents types de traitement pour les patients atteints de DIP ?

Pr. S. : « La greffe de cellules souches consiste à remplacer les cellules du système immunitaire défectueux du patient DIP par celles d’un donneur au système immunitaire intact. Cette intervention permet théoriquement de guérir le déficit immunitaire du patient. Cette greffe est pratiquée presque exclusivement chez les enfants qui présentent des déficiences immunitaires primaires très spécifiques. Notamment les enfants qui naissent sans système immunitaire (ce qui est heureusement très rare) et qui mourraient si nous ne faisions rien.

Les immunoglobulines intraveineuses (IgIV) sont des anticorps que l’on injecte dans les veines du patient . Ce traitement peut être appliqué à tous les patients DIP qui, d'une manière ou d'une autre, manquent d'anticorps fonctionnant correctement, que ce soit en combinaison ou pas avec un autre problème. Pour cela, des anticorps sont prélevés dans le plasma de nombreux donneurs sains puis mélangés ensemble. Ce mix d’anticorps est ensuite administré dans le sang du patient. La personne est alors protégée quand elle entre en contact avec des bactéries, des virus et des parasites. Les IgIV présentent un certain nombre d'avantages. La procédure a lieu à l'hôpital de jour, en général toutes les trois ou quatre semaines, pour une durée de quelques heures. La quantité est ajustée en fonction de la taille et du poids du corps et reste en général relativement stable.

Les immunoglobulines sous-cutanées (IgSC) sont des anticorps injectés sous la peau du patient. C’est le traitement que nous conseillons aux patients DIP. En effet, nous constatons beaucoup moins d'effets secondaires comme les maux de tête et la fatigue qu’avec le traitement par IgIV. Les patients ne doivent pas se rendre à l'hôpital pour leurs injections. Ils reçoivent une petite dose d’immunoglobulines chaque semaine à la maison au lieu d’une grande dose chaque mois à l’hôpital. Leur taux d’anticorps dans le sang reste par conséquent plus stable et beaucoup plus proche de la normale avec les IgSC qu'avec les IgIV. D'un point de vue médical, les IgSC offrent donc plus d’avantages que le traitement en intraveineuse. »

« Les immunoglobulines sous-cutanées sont le traitement que nous conseillons aux patients DIP. »
Professeur Rik Schrijvers, UZ Leuven

IgVIG ou IgSC : les anticorps sont-ils absorbés de la même manière par l’organisme ?

Pr. S. : « Les IgIV sont injectés via la veine. Les anticorps sont ensuite transportés jusqu’au cœur qui les propulse dans tout l’organisme. Les immunoglobulines sont ainsi diffusées partout dans le corps. Avec le traitement par IgSC, les anticorps sont absorbés par le système lymphatique et transportés lentement jusqu’aux vaisseaux sanguins avant de suivre le même trajet dans l’organisme. La vitesse d'absorption est donc plus lente qu'avec le traitement par IgIV. Cela provoque des pics d’anticorps moins importants, responsables, selon nous, des effets secondaires. »

Lequel des 3 traitements correspond le mieux au fonctionnement normal du système immunitaire ?

Pr. S. : « Cela dépend du type de déficience immunitaire. En principe, une greffe de cellules souches corrige le déficit une fois pour toutes et le patient retrouve un système immunitaire quasi normal. Mais, comme je l’ai déjà dit, ce traitement n'est utilisé que dans de très rares cas. La greffe de cellules souches est également une procédure très risquée, avec la possibilité de complications graves même après l'intervention. L’injection d’anticorps par voie sous-cutanée est une bonne solution qui permet d’atteindre des valeurs quasi normales sur le plan physiologique. »

Quelles sont vos expériences avec ce traitement ?

Pr. S. : « Nous donnons toujours le choix à nos patients, avec une préférence pour les IgSC. Ce traitement nous semble plus efficace sur le plan médical que les immunoglobulines en intraveineuse. Nous voyons moins de personnes qui sont mal contrôlées, en termes d'infections par exemple, avec le traitement sous-cutané. Quant aux patients qui préfèrent suivre le traitement par IgIV à l’hôpital, ce sont souvent des personnes qui ont peu d’effets secondaires et supportent donc bien ce type de traitement. Dans tous les cas, une chose est sûre, les immunoglobulines améliorent considérablement la qualité de vie des patients. »

Quelles sont les réactions de vos patients qui sont passés des IgIV aux IgSC ?

Pr. S. : « La plupart des patients l'ont fait soit pour des raisons médicales soit pour des raisons pratiques. Le traitement intraveineux n’était pas la solution optimale pour eux. Je constate que la grande majorité de ces personnes sont satisfaites du changement. En passant à la méthode sous-cutanée, ces personnes développent souvent moins d'infections qu’avec les IgIV. Elles ressentent aussi moins d’effets secondaires. D’ailleurs, certains patients sont tellement ravis aujourd’hui qu’ils regrettent de ne pas avoir sauté le pas plus tôt. À l’inverse, certaines personnes présentent plus d’effets secondaires (essentiellement des douleurs locales) avec le traitement par IgSC. Elles passent alors aux IgIV et constatent une nette amélioration de leur qualité de vie. Enfin, dans de rares cas, certains patients sont obligés de repasser aux IgIV car l’injection par voie sous-cutanée ne diffuse pas les quantités suffisantes d’immunoglobulines dans l’organisme. Pourquoi ? Nous ne le savons pas. Est-ce à cause d’un problème d’absorption ? Ou les doses ne sont-elles pas suffisamment élevées ? Quoi qu’il en soit, il n’y a pas le choix : il faut rependre les IgIV. »

Combien de temps les patients avec une DIP doivent-ils suivre un traitement ?

Pr. S. : « Chez les adultes, la DIP est une maladie chronique. Ils ont donc besoin d’un traitement tout au long de leur vie. À nous de trouver la meilleure façon possible de traiter le patient. Si à un moment donné, une lassitude thérapeutique s’installe, une pause dans le traitement peut être envisagée. Avec les enfants, la situation peut parfois être différente. Certaines formes de DIP peuvent disparaître quand les enfants grandissent. Leur système immunitaire est comme un vieux moteur diesel, qui n’est pas encore assez chaud à la naissance. Il faut parfois attendre jusqu’à l'âge de 4 ans pour qu’il monte enfin suffisamment dans les tours. Cela arrive aux environs de 6 mois chez les enfants en bonne santé. En attendant, pour compenser la lenteur de démarrage de leur système, nous leur donnons des anticorps que nous arrêtons vers l’âge de 5 ou 6 ans. »

— Source : interview du 10/09/2020 avec le Professeur Rik Schrijvers, interniste général à l’UZ Leuven dans le département allergies et immunologie clinique.
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