Quand les enfants manquent d’anticorps... les immunoglobulines à la rescousse !

Docteur Catherine Heijmans, Pédiatre dans le service hémato-oncologie de l’hôpital des enfants Reine Fabiola à Bruxelles

Catherine Heijmans

Le déficit immunitaire primaire (DIP) est une maladie héréditaire qui affecte les enfants dès leur plus jeune âge. Aujourd’hui, la plupart d’entre eux sont traités par voie sous-cutanée. Nous avons interviewé le Docteur Catherine Heijmans, Pédiatre dans le service hémato-oncologie de l’hôpital des enfants Reine Fabiola à Bruxelles et chef de service de pédiatrie à l’hôpital de Jolimont à La Louvière, pour qu’elle nous en dise un peu plus.

Docteur Heijmans, combien d’enfants souffrent de déficit immunitaire en Belgique ?

Dr H.: “Personne n’a la réponse exacte car les patients ne sont pas toujours détectés. Ou très tard, voire à l’âge adulte. Contrairement à d’autres pays, le diagnostic du DIP ne fait pas encore partie des tests de dépistage pratiqués systématiquement à la naissance. Quand le déficit est déjà connu dans la famille ou que l’enfant montre des symptômes de déficit immunitaire sévère, la question ne se pose pas : il faut faire le test pour poser un diagnostic rapide et mettre en place un traitement. Sans quoi, sa vie est en danger.”

Quels sont les symptômes qui vous alertent ?

Dr H.: “Quand un enfant présente des infections trop fréquentes, trop sévères ou avec des germes inhabituels, c’est souvent signe que quelque chose ne va pas. Il est normal que les petits qui entrent en crèche ou à l’école attrapent des rhumes, des toux, des gastros… Et c’est d’ailleurs ainsi qu’ils développent leur immunité. Mais quand un enfant enchaîne les infections ou déclare plusieurs pneumonies dans l’année, il y a lieu de s’inquiéter.”

Les 10 signes d’alerte du déficit immunitaire chez l’enfant

  • Plus de 8 otites par an en dessous de 4 ans
  • Plus de 2 sinusites par an
  • Plus de 2 mois de traitements antibiotiques par an
  • 1 pneumonie par an
  • Ralentissement de la croissance
  • Des épisodes de forte fièvre
  • 1 infection par champignons persistante dans la bouche ou sur la peau
  • 1 infection sévère dans l’année
  • La nécessité d’un traitement par antibiotique par intraveineuse.
  • Des cas connus d’immunodéficience dans la famille.
— Bron: www.worldpiweek.org

Ces enfants sont-ils condamnés à rester à l’écart ad vitam eternam ?

Dr H.: “Heureusement non. Des traitements existent et la plupart des enfants qui souffrent de déficit immunitaire peuvent vivre une vie tout à fait normale, aller à l’école, jouer avec leurs copains, pratiquer du sport en équipe, voyager ou partir le week-end en camp scout comme les autres enfants.”

Parlez-nous justement des traitements.

Dr H.: “Quand on souffre de DIP, cela signifie très souvent qu’on manque d’immunoglobulines. En d’autres mots, on ne fabrique pas (assez) d’anticorps. Et l’organisme en a vraiment besoin pour se défendre contre les infections. Alors, on prélève ces anticorps chez d’autres personnes via les dons de sang et on les transfuse aux patients immunodéficients. Ces immunoglobulines ne guérissent pas le patient, ils viennent juste pallier le manque de production propre. Dès qu’on arrête le traitement, les patients redeviennent plus vulnérables car ils ne sont plus protégés.”

L’enfant devra donc recevoir des immunoglobulines toute sa vie ?

Dr H.: “En effet. Cette déficience est inscrite dans ses gènes, comme la couleur de ses yeux. Cela fait partie de lui, c’est ainsi. Cela a l’air dramatique dit comme ça, mais après quelque temps, le traitement devient un automatisme, une habitude à prendre.”

Comment le traitement est-il administré ?

Dr H.: “Il y a deux façons d’administrer les immunoglobulines : soit en intraveineuse, soit en injection sous-cutanée. Au niveau médical, c’est pareil, la protection est la même. Et d’ailleurs, on peut passer de l’un à l’autre comme on veut. C’est plutôt au niveau du confort que cela se joue pour le patient. Le traitement en intraveineuse se donne à l’hôpital alors que le traitement par voie sous-cutanée est géré par le patient lui-même à la maison.”

“Les enfants préfèrent le traitement par voie sous-cutanée. Car il ne faut pas venir toute une journée à l’hôpital.”
Pédiatre dans le service hémato-oncologie de l’hôpital des enfants Reine Fabiola à Bruxelles

Pour le patient, quelle est la solution la plus recommandée ?

Dr H.: “Les deux présentent des avantages et des inconvénients. Mais en général, la grande majorité des enfants préfèrent le traitement par voie sous-cutanée. Car il ne faut pas venir toute une journée à l’hôpital. Papa et maman font l’injection à la maison. A partir de 8-10 ans, l’enfant peut même le faire tout seul. Ce n’est absolument pas douloureux et cela dure une grosse demi-heure. Une fois que le produit coule, l’enfant est libre de jouer, regarder la télé, faire ses devoirs et même se promener. On place alors la pompe à la ceinture ou dans un sac à dos et le tour est joué. L’autre avantage, c’est que les enfants ont de très petites veines, ce qui complique la pose de la perfusion pour le traitement en intraveineuse. En sous-cutané, on pique dans la cuisse ou le ventre, c’est plus facile et on ne risque pas de piquer à côté.”

Et les inconvénients ?

Dr H.: “Certaines familles ont le sentiment de ramener l’hôpital à la maison. Ou ne se sentent pas à l’aise avec les piqûres. Mais c’est rare, car une infirmière spécialisée leur montre comment faire et ils apprennent très vite les bons gestes. Reste l’aspect psychologique : les parents n’ont pas toujours envie non plus d’endosser le rôle du méchant qui pique et préfèrent laisser ça au personnel médical. Enfin, la dose délivrée en sous-cutané est plus faible que la dose reçue à l’hôpital. Il faut donc administrer le traitement plus souvent à la maison, en général une fois par semaine. Au contraire de l’intraveineuse qui se donne une seule fois par mois à l’hôpital. Mais ça prend toute une journée. Ce qui veut dire perdre un jour d’école et, pour les parents qui travaillent, devoir prendre un jour de congé.”

A quoi faut-il faire attention si on décide de se soigner à la maison ?

Dr H.: “Il faut bien se laver les mains et respecter les règles d’hygiène, bien désinfecter la peau avant de piquer. Il faut aussi conserver le produit dans de bonnes conditions et tenir un agenda des traitements, veiller à avoir toujours du produit et le matériel chez soi… cela demande une certaine organisation. ”

Et vous, docteur, depuis quand utilisez-vous le traitement en voie sous-cutanée (IgSC) ?

Dr H.: “Depuis que le traitement est disponible en Belgique. Une dizaine d’années je dirais. Les pays scandinaves utilisaient ce traitement depuis bien plus longtemps que nous, avec d’excellentes expériences. On a donc eu la chance d’avoir un bon recul. Aujourd’hui, on peut vraiment dire que les deux traitements (IV et SC) offrent des résultats équivalents sur le plan médical. Le patient peut donc choisir la solution qui lui convient en toute tranquillité.”

En termes de suivi médical, c’est pareil pour vous ?

Dr H.: “Oui. Quel que soit le mode d’administration choisi, je vois généralement mes patients en consultation tous les 3 mois. Pour vérifier leur taux d’anticorps et m’assurer que tout va bien et que les doses sont toujours bien ajustées. C’est important car les enfants grandissent. Il faut donc évaluer régulièrement le traitement en fonction de leur poids et de leur réponse immunitaire.”

Les enfants, comment le vivent-ils ?

Dr H.: “D’habitude, très bien. Ils sont la plupart du temps coopératifs. A l’adolescence, certains se rebellent parfois. C’est normal. Ils veulent être aussi insouciants que leurs copains et ne comprennent pas pourquoi ils doivent continuer à se piquer alors qu’ils vont très bien. Je dois alors leur expliquer que sans ces piqûres, ils retomberaient malades. Ça va être ainsi toute leur vie. Le but du traitement, c’est justement de leur permettre de vivre une vie normale. S’ils suivent bien leur traitement, ils peuvent choisir tous les métiers qu’ils veulent, pratiquer tous les sports qu’ils veulent, partir en voyage, s’amuser. Tout est possible. Pour le monde extérieur, c’est une maladie invisible, on est comme les autres.”

— Source : interview du 25/06/2020 avec le Docteur Catherine Heijmans, Pédiatre dans le service hémato-oncologie de l’hôpital des enfants Reine Fabiola à Bruxelles. Chef de service de pédiatrie à l’hôpital de Jolimont à La Louvière. Membre du board et trésorière du BPIDG (groupe de travail belge s’occupant des déficits immunitaires primaires).
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